Vous en avez fait souvent le constat au retour d'un concert de musique classique, instrumentale, non amplifiée : le rendu sonore en salle vous semble à la fois plus flou et surtout plus sombre que chez vous, sur votre chaine hi-fi. Vous trouvez même que vous entendez mieux chez vous, avec une localisation plus précise de chaque instrument, un ciselé, une brillance supérieurs.

Cherchez l'erreur!


Que faut-il remettre en cause? La salle de concert dont l'acoustique serait trop amortie, trop sourde? La place que vous occupiez, trop éloignée ou trop désaxée? L'orchestre, accordé trop bas?
Non, ce qu'il convient de remettre en cause, c'est vous, vos oreilles, votre habitude d'écoute et votre chaine hi-fi.
Et le problème est connu de longue date, mais il ne fait que perdurer au fil des ans car... le public en redemande. Vox populi, vox Dei, vox Commerciali (et tant pis si la voix populaire chante faux)
L'éditorial suivant soulignait déjà cette dérive: son titre était

L'équilibre en danger


Citation La tendance actuelle est aux sonorités dégraissées, aux aigus toujours plus brillants.
La hi-fi doit être au service de la musique.
Ce poncif, constructeurs et importateurs sont les premiers à nous le rappeler. Il suffit de regarder les campagnes publicitaires: la référence à la musique y est omniprésente. Ainsi peut-on lire à propos d'un produit «qu'il franchit le pas vers une musique vivante» ou encore « qu'un nouveau virtuose vient de naître ». Quand on ne nous invite pas à « entrer au cœur de la musique» grâce à un nouveau standard numérique! Mais il ne s'agit là que de slogans. La réalité est tout autre: la hi-fi est en train de perdre le sens de l'équilibre.
Malgré une sophistication parfois impressionnante (et un prix qui ne l'est pas moins), les appareils «haute-fidélité» modernes délivrent très souvent une restitution excessivement claire et piquée qui débouche sur des colorations de timbres marquées. La tendance semble être aux sonorités dégraissées, aux aigus toujours plus brillants. «C'est ce que recherche le public» explique-t-on chez les revendeurs. Peu importe si les instruments sonnent plus clair que dans la réalité! Consacré aux amplificateurs à tubes, notre comparatif(*) illustre parfaitement cette nouvelle donne. Avec l'impression d'une définition et d'une transparence accrues, cette luminosité artificielle séduit l'auditeur dépourvu de références au direct. En revanche, elle gêne les mélomanes qui fréquentent assidûment les salles de concerts. Ceux-là sont conscients que les meilleurs appareils ne sont pas ceux qui rendent la musique avec une rutilance flatteuse mais qui la reproduisent avec son étoffe, son rythme, ses contrastes, sa dynamique plastique. Ériger la clarté en priorité absolue, c'est prendre le risque d'occulter un critère aussi essentiel que la vie du message sonore. Une perspective des plus dramatiques pour la hi-fi qui, en même temps que le sens de l'équilibre, pourrait bien y perdre le sens de l'expressivité. Un maillon audio est musical quand il est capable de restituer les plus fines nuances et l'ordre complexe qui caractérisent les bonnes interprétations. Cela, même les bancs de mesure les plus performants sont incapables de l'évaluer. L'oreille reste le juge suprême.
Reste à espérer que les concepteurs, trop souvent confinés dans leurs laboratoires, en soient convaincus. Faute de quoi il est per­mis de s'inquiéter d'une dérive qui risque d'éloigner la haute ­fidélité de la musique. Fin de citation
(reproduction d'un éditorial de Serge Bodin paru dans le magazine Diapason en Mars 2001 et plus que jamais d'actualité en 2015, hélas.)
(*) Le magazine publiait alors un comparatif entre 6 amplificateurs à tubes.