Bien que remontant à Juin 1993, l'éditorial du regretté Jean-Marie Piel intitulé "Savoir écouter" (cf Diapason n°394) est toujours d'actualité.
Déjà à l'époque l'auteur ne s'adressait qu'aux vrais mélomanes, ceux qui achètent régulièrement des disques ou des CDs, Ils ne constituaient pas une grande population, et cette petite communauté s'est encore réduite 20 ans après. C'est une race en voie d'extinction, celle qui se calait dans un bon fauteuil pour écouter dans son salon un concert à domicile.

De nos jours, sans doute plus que jamais, on entend de la musique - toutes sortes de musiques - partout. Mais, paradoxalement, il semblerait qu'on l'écoute d'autant moins ou d'autant plus mal qu'on en entend davantage. Les oreilles saturées, nous perdons progressivement l'habitude d'écouter. Pourtant, pour bien choisir une chaîne on ne peut se contenter d'entendre.


Chez soi, en voiture, en avion, dans les grands magasins, la musique reproduite tend à devenir omniprésente. C'est évidemment fort dommageable, et pour la musique qui tend à se muer en bruit de fond, et pour nos oreilles qui, à force de subir passivement ces fonds sonores, finissent par ne plus savoir écouter. Dans le domaine de la haute fidélité, une telle évolution est évidemment inquiétante d'autant plus que les constructeurs, qui devraient être comme ils l'étaient autrefois les premiers à exercer leur sens auditif et à cultiver une écoute critique, sont de plus en plus enclins à se réfugier derrière des mesures objectives et à mettre intégralement au point des amplificateurs ou des enceintes acoustiques en restant derrière un ordinateur. C'est un peu comme si l'on fabriquait des vins à l'aide de formules chimiques et de logiciels informatiques... Cette passivité de l'écoute à laquelle nous sommes à notre insu si fortement poussés finit inexorablement par nous faire douter de notre oreille. Les revendeurs spécialisés entendent quotidiennement la même litanie: « Je n'ai pas une bonne oreille ... » Détrompez-vous, même si vous n'entendez plus les sons au-dessus de 12 kHz, même si vous chantez faux, même si vous n'êtes pas capable de prendre en dictée musicale des mélodies simples, votre oreille est largement suffisante pour distinguer avec sûreté les bons et les mauvais matériels haute fidélité. Ce qui manque en effet à beaucoup d'auditeurs, ce n'est pas la sensibilité auditive, ce sont quelques principes simples pour la rendre opérationnelle et efficace. Fruits d'une longue expérience d'écoute critique, voici quelques conseils élémentaires pour principes simples pour la rendre opérationnelle et efficace. vous aider à choisir à l'oreille votre matériel haute fidélité.

Condition première : un auditorium parfaitement silencieux. Le moindre bruit ambiant émousse les facultés d'écoute fine.
Ensuite, évitez les auditoriums trop clairs, trop réverbérants ; ils sont flatteurs mais réduisent les différences subjectives d'un système à l'autre. Pour entendre le plus nettement et le plus subtilement possible ces différences, choisissez des programmes simples.
Évitez les grands effectifs avec chœurs et orchestre ou gardez-les pour les ultimes écoutes, pour vérifier l'aptitude d'un système à reproduire sans confusion des messages complexes.
Choisissez des programmes simples - un solo de violon, de flûte, une voix - car vous pourrez vous concentrer plus facilement sur le jeu du musicien et c'est alors que les différences significatives apparaîtront.
Ne cherchez pas à vous prononcer sur les sons - vous ne savez sans doute pas comment ils « sonnaient» à l'enregistrement: « plus sec»? « moins sec»?« plus aigu»? « plus grave»? Seuls les ingénieurs du son peuvent le dire, et encore.
Concentrez-vous sur la musique. Avec quel appareil la mélodie a le plus de conti­nuité, les rythmes le plus de relief, les nuances le plus de subtilité, les silences plus de force et de profondeur.
Essayez de repérer là où le jeu est le plus vivant, le plus expressif, le plus chargé d'émotion. Avec ces repères proprement musicaux vous découvrirez des différences considérables entre deux chaînes dont les qualités strictement sonores - équilibre, pureté, bande passante, définition, dynamique - sont à peu près identiques. Optez sans hésiter pour l'installation à tra­vers laquelle les musiciens paraissent mieux jouer, celle dont l'écoute vous revivifie.


Cessez d'attacher trop importance aux graves, aux médiums ou aux aigus. Écoutez en mélomane, en critique musical: vous découvrirez que d'une chaîne à l'autre c'est la qualité même de l'interprétation qui change. J.-M.P