Jean-Marie Piel, ancien rédacteur en chef de la revue Diapason, chroniqueur et critique de matériels hi-fi nous a quitté en octobre 2014.
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Jean-Marie Piel, Audiophile hors pair & Ancien rédacteur en chef de Diapason
Le monde des audiophiles mélomanes a perdu avec la mort de J-M Piel un de ses membres les plus éminents.
C'est au travers de quelques uns de ses éditoriaux que l'on peut mesurer toute la finesse de ses analyses et la pertinence de ses propos.

Chronique de Jean-Marie Piel publiée dans la revue Diapason en novembre 1999

Un vibrato qui en dit long


Ondulation volontaire et contrôlée d'une note, le vibrato est utilisé par tous les musiciens ou presque, Acoustiquement il complique singulièrement le signal, Aussi sa bonne restitution sonore est-elle fort révélatrice des finesses d'une chaîne,

Quand on demandait, il y a vingt ans, à Jean-Claude Risset, alors directeur de l'Ircam, si ses laboratoires étaient capables de reconstituer fidèlement le son d'un violon, sa réponse était: « Oui, à condition qu'il soit dépourvu de vibrato. » Alors, trouble-fête le vibrato? Il corse à ce point les choses? Sans doute puisque les ordinateurs les plus puissants de l'époque - on a fait beaucoup de progrès depuis - étaient insuffisants pour analyser et synthétiser ce phénomène acoustique d'une redoutable complexité.
Bien sûr tous les vibratos ne sont pas de même nature. Les uns jouent seulement sur la hauteur des sons. Les autres sur leur amplitude. Et d'autres encore sur la combinaison des deux. Ils représentent à la fois une modulation de fréquence et d'amplitude.
La périodicité de l'ondulation elle-même varie selon les musiciens, et selon l'expression, la couleur, l'accent qu'ils veulent mettre sur tel ou tel passage.
Des expériences ont démontré qu'on distingue facilement cette ondulation tant que sa cadence ne dépasse pas six ou sept périodes par seconde (ce qui correspond à un vibrato très serré). Au-delà, curieusement, la perception change de nature et laisse place à une sensation de hauteur fixe.
De nombreux chercheurs se sont penchés sur les raisons d'être du vibrato. Pour simplifier, il semblerait qu'elles répondent à trois problèmes différents.
Le premier pourrait être d'ordre neurologique. Un son fixe stimule toujours les mêmes cellules nerveuses qui se fatiguent et atténuent plus ou moins vite son efficacité. Avec un vibrato de hauteur elles ne sont pas sollicitées en permanence et ont le temps de récupérer. Résultat: une note « vibrée » paraît subjectivement plus intense qu'une note fixe.

Le deuxième est d'ordre acoustique. Tous les lieux de concerts, y compris les meilleurs, sont affectés d'irrégularités de réponse et de pics de résonances plus ou moins marqués.
Si les musiciens émettent des sons qui correspondent à ces pics, leur intensité se trouve renforcée au détriment des autres sons. En faisant osciller rapidement la hauteur des notes, on risque moins d'éveiller les résonances et on obtient ainsi une meilleure intelligibilité du discours musical. Ce type de signal est d'ailleurs connu et utilisé par les acousticiens - sous la dénomination de «son vobulé» pour relever des courbes de réponse dans des salles réverbérantes. Le troisième est d'ordre musical. On le sait, le vibrato offre l'avantage non négligeable de rendre moins critique l'exactitude des intervalles. En créant un flou (dont l'amplitude dépasse couramment un quart de ton) autour de la hauteur des notes, il masque des écarts de justesse qui ressortiraient sans son secours. Les musiciens baroques qui en usent avec parcimonie (ils le considèrent comme un ornement occasionnel et non comme un traitement permanent du son) jouent à cet égard beaucoup plus à découvert et cela s'entend parfois ... Mais il serait évidemment caricatural de ne voir dans le vibrato qu'un cache - misère, qu'un artifice pour dissimuler une justesse incertaine. Lorsqu'il est bien contrôlé il est aussi là pour rendre une interprétation plus expressive, plus prenante. En faisant vibrer de façon distincte les sons, il les fait vivre et y inscrit une émotion directe, presque analogique. Il permet en outre de mettre du mouvement dans une seule note, de l'accélérer ou de la ralentir selon la vitesse des ondulations. Pour de nombreux musiciens, il représente donc beaucoup plus qu'un simple procédé technique. Il constitue un paramètre majeur de leur sonorité - un paramètre qui, à lui seul, la rend presque identifiable. Car c'est aussi cela un vibrato: l'empreinte sonore et émotionnelle d'un artiste.
Parce qu'il complique considérablement le signal sonore, peut-être aussi parce qu'il fait vivre les notes, parce qu'il est la signature instantanée de l'artiste et qu'il véhicule parfois jusqu'aux palpitations de l'âme, rien de plus précieux, rien de plus fragile et volatile que sa reproduction. En cela, elle est extrêmement révélatrice.

En choisissant votre chaîne, prêtez une attention toute particulière aux vibratos, dans leur infinie variété Si vous savez les écouter, ils vous en diront long sur l'aptitude à restituer les plus infimes variations d'intensité de hauteur, de timbres où se nichent des trésors d'interprétation et de musicalité .