LES AMBIGUITES DE LA DYNAMIQUE

Parmi tous les paramètres de la reproduction sonore, la dynamique suscite aujourd'hui un intérêt particulier.
Mais qu'entend-on précisément par cette notion dont certains semblent faire la clef d'une restitution vivante?

Dans les années soixante, lorsqu'on évoquait la dynamique,d'un amplificateur, c'était sans équivoque.Il s'agissait du rapport entre le bruit de fond qu'il générait et le signal le plus intense qu'il pouvait amplifier. Ce rapport entre le son le plus faible et le son le plus fort, c'est d'ailleurs, d'un point de vue technique, la définition même de la dynamique en audio. Il s'exprime en décibel. Avec 120 décibels, on peut reproduire toute l'échelle d'intensité des sons musicaux, depuis le silence jusqu'au triple fortissimo d'un grand orchestre. Dans son acceptation première, la dynamique est donc une notion objective qui se prête à la mesure. Le marketing de lancement du compact s'en est d'ailleurs amplement servi: plafonnée à 50 décibels avec le microsillon, elle allait s'étendre à 90 dB avec la petite galette numérique.
En théorie, ce progrès signifiait un bruit de fond inexistant (« silence numérique ») et des sons d'une intensité maximum nettement accrue. En pratique, on s'est vite aperçu que la dynamique exploitable est plus réduite. Les ingénieurs du son savent que, au-dessous de -60 décibels, des distorsions apparaissent (non linéarités et bruit de quantification) et à l'approche de 0 décibel - niveau maximum -, une marge de sécurité, de 5 à 10 décibels selon les cas, est souhaitable pour éviter les risques d’écrêtage numérique particulièrement insupportable à l'oreille. Ces restrictions ont fait dire aux défenseurs du microsillon que sa dynamique réelle était aussi élevée que celle du compact - assertion pour le moins discutable, qui joue sur le caractère ambigu du mot.
En effet, à côté de cette notion technique et objective, les amateurs de haute-fidélité ont introduit celle de dynamique subjective, à présent fort courante et, néanmoins, fort équivoque. Quand, dans la presse spécialisée, on lit au sujet d'un haut-parleur qu'il est très «dynamique» faut-il comprendre qu'il est capable de reproduire des écarts d'intensité sonore très importants, ou - ce qui n'est pas la même chose - qu'il donne l'impression d'une restitution vivante et nuancée?
Analyser ce que recouvre le concept de « dynamique subjective» n'est donc pas inutile. Les audiophiles s'en servent comme si son sens était évident. Pour eux, est dynamique toute restitution qui semble vivante et expressive. Considérée sous cet angle, l'évaluation ne peut être que relative. En comparant à partir d'un même programme musical des chaînes ou des éléments hi-fi, apparaissent effectivement des différences dans le degré de vie de l'image sonore. Mais avec un tel mode d'évaluation, bien des illusions sont possibles. On sait par exemple qu'un grave tronqué ou une certaine accentuation du haut médium rehaussent la sensation de nervosité sonore. Il s'agit là d'une dynamique subjective artificielle, résultant d'un trucage. A moins d'avoir assisté à l'enregistrement et de se rappeler le jeu des interprètes, il est très difficile de savoir où se situe la vérité. Sur ce critère comme sur les autres, faute d'une confrontation directe avec l'exécution réelle, il est nécessaire de baser son jugement sur une « écoute statistique » reposant sur un grand nombre de programmes musicaux.
Ce type d'écoute fait ressortir nettement les aptitudes variables des systèmes hi-fi à restituer la musique de façon vivante.
Sur une pièce très rythmée, par exemple, d'une chaîne à l'autre on constate que la pulsation n'est pas transmise avec la même énergie; avec les unes, elle conserve un relief irrésistible, elle nous pousse au mouvement, avec les autres, elle n'existe que de façon abstraite et perd toute contagion physique. La dynamique subjective dont parlent les hifistes se réfère de façon plus ou moins vague à la dynamique musicale sous toutes ses facettes, y compris les plus paradoxales. Quand Gustav Leonhardt ou Andreas Staier se mettent au clavecin, leur jeu est des plus dynamiques.

Pourtant, l'absence de dynamique objective est une des caractéristiques de cet instrument. En jouant sur la durée des notes, sur la précision des attaques, en soulignant les tensions harmoniques, en aiguisant les rythmes, en accélérant le tempo, en faisant appel à tout un éventail d'artifices cachés, ils réussissent à donner l'illusion de dynamique. Cet exemple est extrême. Cependant, même lorsque l'instrument, par sa constitution physique, permet d'obtenir des nuances réelles, donc des variations de niveau sonore, le musicien construit aussi sa dynamique d'exécution sur une multitude d'autres paramètres - vibrato, rubato, inégalisations rythmiques, césures, timbres, etc. On s'aperçoit alors que la dynamique musicale ne repose pas seulement sur un travail des nuances, mais également sur un travail du temps. Une restitution vivante doit à la fois respecter tous les écarts d'intensité sonore et leur évolution dans le temps. En d'autres termes, la précision des attaques et l'absence de traînage (c'est sur ce point que les haut-parleurs ont le plus de progrès à accomplir) sont deux qualités cruciales en hi-fi.

CHRONIQUE DE JEAN-MARIE PIEL (1950-2014) publiée dans DIAPASON juillet-août 1999/123