Melophile Discophile Audiophile

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

vendredi, octobre 16 2015

Les clés de la reproduction sonore en haute fidélité

LES AMBIGUITES DE LA DYNAMIQUE

Parmi tous les paramètres de la reproduction sonore, la dynamique suscite aujourd'hui un intérêt particulier.
Mais qu'entend-on précisément par cette notion dont certains semblent faire la clef d'une restitution vivante?

Dans les années soixante, lorsqu'on évoquait la dynamique,d'un amplificateur, c'était sans équivoque.Il s'agissait du rapport entre le bruit de fond qu'il générait et le signal le plus intense qu'il pouvait amplifier. Ce rapport entre le son le plus faible et le son le plus fort, c'est d'ailleurs, d'un point de vue technique, la définition même de la dynamique en audio. Il s'exprime en décibel. Avec 120 décibels, on peut reproduire toute l'échelle d'intensité des sons musicaux, depuis le silence jusqu'au triple fortissimo d'un grand orchestre. Dans son acceptation première, la dynamique est donc une notion objective qui se prête à la mesure. Le marketing de lancement du compact s'en est d'ailleurs amplement servi: plafonnée à 50 décibels avec le microsillon, elle allait s'étendre à 90 dB avec la petite galette numérique.
En théorie, ce progrès signifiait un bruit de fond inexistant (« silence numérique ») et des sons d'une intensité maximum nettement accrue. En pratique, on s'est vite aperçu que la dynamique exploitable est plus réduite. Les ingénieurs du son savent que, au-dessous de -60 décibels, des distorsions apparaissent (non linéarités et bruit de quantification) et à l'approche de 0 décibel - niveau maximum -, une marge de sécurité, de 5 à 10 décibels selon les cas, est souhaitable pour éviter les risques d’écrêtage numérique particulièrement insupportable à l'oreille. Ces restrictions ont fait dire aux défenseurs du microsillon que sa dynamique réelle était aussi élevée que celle du compact - assertion pour le moins discutable, qui joue sur le caractère ambigu du mot.
En effet, à côté de cette notion technique et objective, les amateurs de haute-fidélité ont introduit celle de dynamique subjective, à présent fort courante et, néanmoins, fort équivoque. Quand, dans la presse spécialisée, on lit au sujet d'un haut-parleur qu'il est très «dynamique» faut-il comprendre qu'il est capable de reproduire des écarts d'intensité sonore très importants, ou - ce qui n'est pas la même chose - qu'il donne l'impression d'une restitution vivante et nuancée?
Analyser ce que recouvre le concept de « dynamique subjective» n'est donc pas inutile. Les audiophiles s'en servent comme si son sens était évident. Pour eux, est dynamique toute restitution qui semble vivante et expressive. Considérée sous cet angle, l'évaluation ne peut être que relative. En comparant à partir d'un même programme musical des chaînes ou des éléments hi-fi, apparaissent effectivement des différences dans le degré de vie de l'image sonore. Mais avec un tel mode d'évaluation, bien des illusions sont possibles. On sait par exemple qu'un grave tronqué ou une certaine accentuation du haut médium rehaussent la sensation de nervosité sonore. Il s'agit là d'une dynamique subjective artificielle, résultant d'un trucage. A moins d'avoir assisté à l'enregistrement et de se rappeler le jeu des interprètes, il est très difficile de savoir où se situe la vérité. Sur ce critère comme sur les autres, faute d'une confrontation directe avec l'exécution réelle, il est nécessaire de baser son jugement sur une « écoute statistique » reposant sur un grand nombre de programmes musicaux.
Ce type d'écoute fait ressortir nettement les aptitudes variables des systèmes hi-fi à restituer la musique de façon vivante.
Sur une pièce très rythmée, par exemple, d'une chaîne à l'autre on constate que la pulsation n'est pas transmise avec la même énergie; avec les unes, elle conserve un relief irrésistible, elle nous pousse au mouvement, avec les autres, elle n'existe que de façon abstraite et perd toute contagion physique. La dynamique subjective dont parlent les hifistes se réfère de façon plus ou moins vague à la dynamique musicale sous toutes ses facettes, y compris les plus paradoxales. Quand Gustav Leonhardt ou Andreas Staier se mettent au clavecin, leur jeu est des plus dynamiques.

Pourtant, l'absence de dynamique objective est une des caractéristiques de cet instrument. En jouant sur la durée des notes, sur la précision des attaques, en soulignant les tensions harmoniques, en aiguisant les rythmes, en accélérant le tempo, en faisant appel à tout un éventail d'artifices cachés, ils réussissent à donner l'illusion de dynamique. Cet exemple est extrême. Cependant, même lorsque l'instrument, par sa constitution physique, permet d'obtenir des nuances réelles, donc des variations de niveau sonore, le musicien construit aussi sa dynamique d'exécution sur une multitude d'autres paramètres - vibrato, rubato, inégalisations rythmiques, césures, timbres, etc. On s'aperçoit alors que la dynamique musicale ne repose pas seulement sur un travail des nuances, mais également sur un travail du temps. Une restitution vivante doit à la fois respecter tous les écarts d'intensité sonore et leur évolution dans le temps. En d'autres termes, la précision des attaques et l'absence de traînage (c'est sur ce point que les haut-parleurs ont le plus de progrès à accomplir) sont deux qualités cruciales en hi-fi.

CHRONIQUE DE JEAN-MARIE PIEL (1950-2014) publiée dans DIAPASON juillet-août 1999/123

lundi, juin 9 2014

C'est quoi une bonne chaine Hi-Fi ?

Ce n'est ni la plus grosse ni la chère, ni la plus sophistiquée des chaines hi-fi stéréo ni inversement la plus petite.
C'est seulement la plus expressive, celle qui parvient à vous transmettre le mieux l'émotion musicale. Et cette faculté à vous parler avec éloquence peut fort bien exister sur du matériel de prix modique et ne pas transparaitre, ou moins bien, sur des chaines bien plus onéreuses.


L'expressivité

L'expressivité est certainement ce qui compte le plus à l'oreille du mélomane car ce terme recouvre tout un ensemble de qualités. Voici l'extrait d'un éditorial signé Serge Bodin (magazine Diapason février 2002) intitulé "Les arcanes de l'expressivité"

  • ...certains appareils se montrent très performants sur les critères de définition, de timbre, d'équilibre spectral, de relief mais se révèlent incapables de faire ressentir le caractère vivant de la musique. A l'inverse, un produit moyen sur un plan purement sonore peut très bien faire preuve d'une remarquable expressivité. Ce qui nous autorise à penser que ces critères d'appréciation ne suffisent pas à caractériser la musicalité. Dans ces conditions, il reste à savoir pourquoi, reproduite par beaucoup d'appareils, sans déformation apparente, la musique perd tellement en intérêt?
  • La réponse se trouve du côté de la dynamique. Nous ne parlons pas de cette dynamique brutale, systématique d'un trop grand nombre de modèles mais de la dynamique fine, celle qui permet de différencier les plus infimes écarts de niveau, ceux qui s'exercent d'une manière extrêmement subtile sur une attaque, un vibrato, un accent, une note tenue. De la faculté d'un produit à restituer ce travail du musicien aux limites du perceptible dépend pour une large part son « expressivité ». La plus petite tendance à la simplification, le moindre désordre dans sa restitution se traduisent inévitablement par un manque d'émotion à l'écoute. Profitons-en pour souligner encore une fois l'absence de lien entre ces impressions et les mesures classiques...

et S. Bodin de conclure son éditorial par "Reste que la technologie ne doit pas être une fin en soi. Le juge suprême, c'est l'oreille. Espérons que les concepteurs de matériel hi-fi ne l'oublieront jamais."

Si l'émotion vous gagne

Si une chaine hi-fi vous fait irrésistiblement taper du pied, dodeliner de la tête en suivant le rythme d'un morceau de Jazz, si une chanteuse arrive à vous tirer des larmes, si un tutti orchestral d'un grand opéra vous provoque la chair de poule ou des frissons, si vous restez de longues secondes la bouche ouverte et le souffle coupé... si tout cela vous arrive régulièrement avec la même chaine Hi-Fi, alors vous avez une excellente chaine Hi-Fi. Ne cherchez pas ailleurs ni mieux, vous pourriez vite y perdre.

La musicalité tient souvent à peu de choses

Des enceintes acoustiques bien placées, un point d'écoute judicieux, quelques étagères avec des livres, un tapis, un tableau au mur... suffisent souvent à redonner de l'expressivité à une chaine Hi-Fi qui sonnait terne, morne, sans vie. Des choses à priori insignifiantes comme les cordons secteurs des appareils, souvent groupés ensemble n'importe comment, ou enroulés, ou branchés sur une voire deux triplites (!), font une sensible différence dès qu'on se met à prêter l'oreille à leur arrangement. Un peu d'écoute, d'attention et de jugeote permettent des gains de musicalité appréciables qui dispensent la plupart du temps de changer un élément qu'on jugeait à tort faiblard.

L'énigme de l'émotion

Pourquoi avec certains appareils l'émotion musicale passe-t -elle et avec d'autres pas? Pour un mélomane confronté à la hi-fi, un tel constat est à la fois évident et capital. Est-il possible d'en faire l'analyse? Certains paramètres sonores véhiculeraient-ils plus que d'autres de l'émotion? Si tel est le cas, quels sont-ils? Voici quelques-unes de nos réflexions sur ce sujet qui est au cœur de notre écoute. (Reprodution d'un ancien éditorial de Jean-Marie Piel paru dans la Revue Diapason n°431 Novembre 1996)

La musique est le langage de l'émotion », disait Goethe. Sans elle, la musique perd son âme ... Bien. D'abord faudrait-il s'entendre sur ce mot si galvaudé - un de ceux qui sont finalement plus chargés de valeur que de sens. Rien de plus subjectif, en effet, que l'émotion. La preuve: certaines interprétations touchent profondément les uns et laissent de marbre les autres. Même si elle semble jaillir du seul instant présent, l'émotion puise ses résonances dans notre mémoire, dans les résonateurs que notre civilisation, notre histoire personnelle et notre culture y ont creusé. Certes. Cependant l'expérience du critique hi-fi - qui devrait toujours être aussi un critique musical- apporte un éclairage intéressant sur ce sujet.
Avec certains appareils l'émotion est présente et nous atteint. Avec d'autres pas. Nous écoutons la musique sans la ressentir. Nous en avons fait l'expérience récemment avec un disque de Jacques Brel. Avec une voix aussi incandescente, l'émotion n'échappe à personne. il fournit de l'émotion à l'état brut pour ainsi dire. A ce titre, ce test est particulièrement révélateur. Nous nous en sommes beaucoup servi pour sélectionner nos Diapason d'or. Et une fois de plus nous avons dû constater que les différences les plus troublantes d'un appareil à l'autre - qu'il s'agisse d'un lecteur laser, d'un amplificateur ou même d'une paire d'enceintes - étaient moins des différences de son que des différences de présence émotionnelle.


Il y aurait donc une fidélité au son et une fidélité à l'émotion.
Il faut bien entendu se garder de prendre au pied de la lettre une distinction aussi schématique. Elle tient plus de la facilité de langage que d'une description rigoureuse de la réalité acoustique. Si l'émotion ne passe pas, c'est que le message sonore est altéré, même s'il ne semble pas l'être. Toute la question est précisément dans ce paradoxe: comment une reproduction sonore qui procure une excellente illusion de fidélité peut-elle à ce point gommer le contenu émotionnel d'une interprétation? C'est à ce stade qu'il faut pousser plus loin l'analyse, même s'il peut paraître bien ambitieux et naïf de vouloir comprendre sur quels paramètres sonores repose l'émotion.
A force de comparer les appareils, nous avons fini par nous forger une petite idée sur ce sujet qui - il faut bien le dire - intéresse plus les musiciens que les hifistes ... Prenons les différents paramètres qui constituent une image sonore: l'étendue de la bande passante, la définition, le timbre, la transparence, le relief. Même si chacun pris isolément ou leurs combinaisons peuvent jouer un rôle dans le rendu de l'émotion, nous pensons qu'il est minime. Pour s'en convaincre il suffit d'écouter des éléments hi-fi très performants sur l'ensemble de ces critères. Dans le très haut de gamme on trouve facilement de tels appareils. Or, curieusement, seul un petit nombre d'entre eux transmettent intensément l'émotion des interprètes. Et inversement, cette émotion si importante et justifiant qu'on investisse beaucoup d'argent dans le choix d'une chaîne haute-fidélité, il arrive qu'elle soit étonnamment bien restituée par des systèmes moyens, voire médiocres sur l'un ou l'autre de ces critères. Il faut donc chercher ailleurs. Quel paramètre sonore reste-t-il ? La dynamique, ou plus exactement les écarts de niveau entre les sons. Ce qu'on appelle les nuances dans la terminologie musicale. C'est à travers les nuances que l'émotion perle. Ce sont elles qui transmettent son énergie et font vivre les rythmes. Mais les nuances au sens le plus subtil du terme, les nuances instantanées, celles qui marquent un accent, celles qui se jouent sur l'attaque et à l'intérieur même d'une note, sur un vibrato d'amplitude, sur un son filé; celles qui parfois flirtent avec le silence ... Admettons.
Que dire alors des instruments à son fixe: l'orgue, le clavecin ... ? Ils n'ont pas de dynamique. Ils sont par nature inaptes aux nuances. Ils ne devraient donc pas permettre de transmettre cette émotion dont nous parlions. Pourtant, de grands artistes comme Helmut Walcha, Marcel Dupré, Gustav Leonhardt et quelques autres ont amplement prouvé le contraire. Sans doute. Toutefois, si on prend la peine d'analyser leur jeu, on s'aperçoit qu'ils transgressent les limites physiques de leur instrument et qu'ils créent une illusion de nuances par de savants procédés, d'infimes« dégoncements » rythmiques ou en jouant subtilement sur la durée des notes.
C'est en modulant le niveau des sons de façon réelle ou illusoire, sur des segments de temps courts ou longs (l'impact émotionnel du Boléro ne dépend-il pas largement de la lente et implacable progression dynamique sur laquelle il est construit?) que les interprètes produisent l'émotion la plus directe, celle que la plupart des auditeurs peuvent ressentir sans initiation particulière. Si un appareil hi-fi filtre cette émotion (cas, hélas, fréquent), c'est probablement du côté de sa dynamique subjective qu'il pèche. Il lui manque vraisemblablement non pas la dynamique fracassante d'une certaine hi-fi, mais cette dynamique fine qui différencie les écarts de niveau les plus ténus, qui crée des accents, fait vivre les rythmes, anime chaque note et il lui donne jusqu'à l'extrême pointe de son extinction ce profil exact, cette durée fragile à laquelle nous sommes suspendu. J-M Piel