A la recherche d'une propreté aseptisée, la haute-fidélité moderne finit par oublier l'essentiel: le caractère vivant de la restitution. Quelle est précisément la cause de cette dégradation qui rend la musique si ennuyeuse? Telle est la question à laquelle nous voudrions apporter quelques éléments de réponse.


(Reproduction d'un ancien article de J-M Piel (1950 - 2014) publié dans la revue Diapason de Décembre 1996)

Le problème des techniciens est qu'ils n'écoutent pas assez la musique, et celui des musiciens qu'ils ne s'intéresent pas assez à la technique. Sans doute insuffisamment expert dans l'un et l'autre domaine, nous avons pour notre part l'obligation et la particularité, de rester à la charnière des deux. Ce lieu d'observation souvent inconfortable et finalement peu fréquenté a parfois l'avantage de nous permettre d'entrevoir des liens entre la musique et le son qui échappent aux spécialistes. Il est vrai que depuis les débuts de la haute-fidélité on se borne à enfermer le son dans quelques mesures statiques et classiques qui reflètent mal le caractère essentiellement mouvant et dynamique de la musique. Sans doute cette schématisation a-t-elle des excuses.
La première n'est autre que la difficulté à quantifier ce qui bouge.
La seconde, d'ordre historique, est la bonne corrélation qui existait dans les années trente, avec les premiers amplificateurs à triode, entre les mesures et l'écoute - corrélation qui s'est dissolue par la suite en raison de la complexité croissante des circuits et de la perte de linéarité qu'elle a engendrée. Le divorce entre les mesures traditionnelles et la qualité de restitution était alors consommé. Mais il s'instaura si progressivement qu'on mit des années à l'admettre ...

A présent on s'accommode tant bien que mal de cette situation quelque peu absurde. D'un côté, les constructeurs continuent à fai­re leurs mesures comme au bon vieux temps, tandis que de l'autre, les amateurs de hi-fi ne prêtent plus la moindre attention à ces mesures et ne s'intéressent qu'aux comptes rendus d'écoute ... Dans cet univers schizophrénique, un chercheur comme Gérard Perrot, capable de remettre en cause scientifiquement les méthodes de mesures et leurs liens avec l'écoute, fait figure d'exception!
Pourtant, l'observation et le simple bon sens peuvent nous amener à entrevoir quelle est, dans le signal musical, la caracté­ristique que les techniciens ont fini par perdre de vue. Récemment, par hasard, nous nous sommes livré à une expérience révélatrice. Disposant d'un amplificateur équipé de « vu-mètres » professionnels, nous avons voulu nous faire une idée des puis­sances en jeu pour une écoute domestique avec des enceintes à faible rendement (85 dB/W lm environ). Surprise: hormis quelques crêtes atteignant des niveaux élevés et dépassant çà ou là une dizaine de watts, l'essentiel du message musical (des Concertos grossos de Haendel) tenait dans une fourchette de puissance inférieure au watt! Un temps accentué se traduisait par un supplément d'une fraction de watt, une note filée par une diminution de puissance à peine lisible et un vibrato d'amplitu­de par des variations à la limite de l'invisible. L'accentuation, l'articulation du discours musical, son expressivité, son rythme, en bref tout ce qui forme sa vie se jouerait ainsi sur des micro­watts! Bien sûr, à partir d'autres musiques et d'autres instru­ments comme le piano par exemple, ces écarts de puissance peu­vent être plus marqués et plus fréquents. Mais il est tout de même intéressant de noter qu'avec certaines interprétations qui n'ont rien de statique, l'essentiel du rythme et du mouvement se résume à d'infimes fluctuations de la pression acoustique.


Ces fluctuations infinitésimales représentent la dynamique fine, qui nous paraît être d'un point de vue musical beaucoup plus importante que la dynamique globale, représentant l'écart d'intensité entre les sons les plus forts et les sons les plus faibles. Sur les signaux de forte intensité, on sait que l'oreille perd beaucoup de sa sensibilité. Elle devient très tolérante. Qu'importe que le coup de grosse caisse soit restitué avec une certaine imprécision dans l'amplitude. Plus le signal est intense, plus l'ouïe manque de finesse, plus elle devient tolérante. En re­vanche sur les petits signaux, il se produit l'inverse. Si les varia­tions d'intensité les plus délicates sont écrasées, ou seulement rendues de façon imprécise, que restera-t-il d'un vibrato d'am­plitude par exemple, ou d'un subtil accent rythmique? D'où l'aberration, que représentent, à de rares exceptions près, ces énormes amplificateurs capables de débiter sans fléchir plu­sieurs centaines de watts mais inaptes par nature à différencier des signaux de quelques microwatts.


Dans le même ordre d'idée, on peut se demander s'il n'aurait pas été plus intéressant avec le compact de concentrer sur les si­gnaux de faibles amplitudes un maximum d'informations plutôt que de les répartir de façon linéaire entre les deux valeurs ex­trêmes de la dynamique. Si, dans certaines conditions et avec certaines musiques, le vinyle peut encore apparaître musicale­ment plus expressif et plus vivant que la petite galette argentée, ce n'est certainement pas en vertu de la dynamique globale (rap­port signal/bruit) qui est médiocre, mais de la dynamique fine où il excelle. Alors que l'on envisage de remplacer le standard en 16 bits du CD par un standard plus élaboré, il serait vivement souhaitable que les ingénieurs examinent de près cette préémi­nence psycho acoustique de la dynamique fine sur la dynamique globale. La musique a tout à y gagner. J.-M.P.