Melophile Discophile Audiophile

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Tag - dynamique fine

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mercredi, février 18 2015

Pourquoi la musique enregistrée devient-elle ennuyeuse? (3. la dynamique fine)

A la recherche d'une propreté aseptisée, la haute-fidélité moderne finit par oublier l'essentiel: le caractère vivant de la restitution. Quelle est précisément la cause de cette dégradation qui rend la musique si ennuyeuse? Telle est la question à laquelle nous voudrions apporter quelques éléments de réponse.


(Reproduction d'un ancien article de J-M Piel (1950 - 2014) publié dans la revue Diapason de Décembre 1996)

Le problème des techniciens est qu'ils n'écoutent pas assez la musique, et celui des musiciens qu'ils ne s'intéresent pas assez à la technique. Sans doute insuffisamment expert dans l'un et l'autre domaine, nous avons pour notre part l'obligation et la particularité, de rester à la charnière des deux. Ce lieu d'observation souvent inconfortable et finalement peu fréquenté a parfois l'avantage de nous permettre d'entrevoir des liens entre la musique et le son qui échappent aux spécialistes. Il est vrai que depuis les débuts de la haute-fidélité on se borne à enfermer le son dans quelques mesures statiques et classiques qui reflètent mal le caractère essentiellement mouvant et dynamique de la musique. Sans doute cette schématisation a-t-elle des excuses.
La première n'est autre que la difficulté à quantifier ce qui bouge.
La seconde, d'ordre historique, est la bonne corrélation qui existait dans les années trente, avec les premiers amplificateurs à triode, entre les mesures et l'écoute - corrélation qui s'est dissolue par la suite en raison de la complexité croissante des circuits et de la perte de linéarité qu'elle a engendrée. Le divorce entre les mesures traditionnelles et la qualité de restitution était alors consommé. Mais il s'instaura si progressivement qu'on mit des années à l'admettre ...

A présent on s'accommode tant bien que mal de cette situation quelque peu absurde. D'un côté, les constructeurs continuent à fai­re leurs mesures comme au bon vieux temps, tandis que de l'autre, les amateurs de hi-fi ne prêtent plus la moindre attention à ces mesures et ne s'intéressent qu'aux comptes rendus d'écoute ... Dans cet univers schizophrénique, un chercheur comme Gérard Perrot, capable de remettre en cause scientifiquement les méthodes de mesures et leurs liens avec l'écoute, fait figure d'exception!
Pourtant, l'observation et le simple bon sens peuvent nous amener à entrevoir quelle est, dans le signal musical, la caracté­ristique que les techniciens ont fini par perdre de vue. Récemment, par hasard, nous nous sommes livré à une expérience révélatrice. Disposant d'un amplificateur équipé de « vu-mètres » professionnels, nous avons voulu nous faire une idée des puis­sances en jeu pour une écoute domestique avec des enceintes à faible rendement (85 dB/W lm environ). Surprise: hormis quelques crêtes atteignant des niveaux élevés et dépassant çà ou là une dizaine de watts, l'essentiel du message musical (des Concertos grossos de Haendel) tenait dans une fourchette de puissance inférieure au watt! Un temps accentué se traduisait par un supplément d'une fraction de watt, une note filée par une diminution de puissance à peine lisible et un vibrato d'amplitu­de par des variations à la limite de l'invisible. L'accentuation, l'articulation du discours musical, son expressivité, son rythme, en bref tout ce qui forme sa vie se jouerait ainsi sur des micro­watts! Bien sûr, à partir d'autres musiques et d'autres instru­ments comme le piano par exemple, ces écarts de puissance peu­vent être plus marqués et plus fréquents. Mais il est tout de même intéressant de noter qu'avec certaines interprétations qui n'ont rien de statique, l'essentiel du rythme et du mouvement se résume à d'infimes fluctuations de la pression acoustique.


Ces fluctuations infinitésimales représentent la dynamique fine, qui nous paraît être d'un point de vue musical beaucoup plus importante que la dynamique globale, représentant l'écart d'intensité entre les sons les plus forts et les sons les plus faibles. Sur les signaux de forte intensité, on sait que l'oreille perd beaucoup de sa sensibilité. Elle devient très tolérante. Qu'importe que le coup de grosse caisse soit restitué avec une certaine imprécision dans l'amplitude. Plus le signal est intense, plus l'ouïe manque de finesse, plus elle devient tolérante. En re­vanche sur les petits signaux, il se produit l'inverse. Si les varia­tions d'intensité les plus délicates sont écrasées, ou seulement rendues de façon imprécise, que restera-t-il d'un vibrato d'am­plitude par exemple, ou d'un subtil accent rythmique? D'où l'aberration, que représentent, à de rares exceptions près, ces énormes amplificateurs capables de débiter sans fléchir plu­sieurs centaines de watts mais inaptes par nature à différencier des signaux de quelques microwatts.


Dans le même ordre d'idée, on peut se demander s'il n'aurait pas été plus intéressant avec le compact de concentrer sur les si­gnaux de faibles amplitudes un maximum d'informations plutôt que de les répartir de façon linéaire entre les deux valeurs ex­trêmes de la dynamique. Si, dans certaines conditions et avec certaines musiques, le vinyle peut encore apparaître musicale­ment plus expressif et plus vivant que la petite galette argentée, ce n'est certainement pas en vertu de la dynamique globale (rap­port signal/bruit) qui est médiocre, mais de la dynamique fine où il excelle. Alors que l'on envisage de remplacer le standard en 16 bits du CD par un standard plus élaboré, il serait vivement souhaitable que les ingénieurs examinent de près cette préémi­nence psycho acoustique de la dynamique fine sur la dynamique globale. La musique a tout à y gagner. J.-M.P.

lundi, juin 9 2014

C'est quoi une bonne chaine Hi-Fi ?

Ce n'est ni la plus grosse ni la chère, ni la plus sophistiquée des chaines hi-fi stéréo ni inversement la plus petite.
C'est seulement la plus expressive, celle qui parvient à vous transmettre le mieux l'émotion musicale. Et cette faculté à vous parler avec éloquence peut fort bien exister sur du matériel de prix modique et ne pas transparaitre, ou moins bien, sur des chaines bien plus onéreuses.


L'expressivité

L'expressivité est certainement ce qui compte le plus à l'oreille du mélomane car ce terme recouvre tout un ensemble de qualités. Voici l'extrait d'un éditorial signé Serge Bodin (magazine Diapason février 2002) intitulé "Les arcanes de l'expressivité"

  • ...certains appareils se montrent très performants sur les critères de définition, de timbre, d'équilibre spectral, de relief mais se révèlent incapables de faire ressentir le caractère vivant de la musique. A l'inverse, un produit moyen sur un plan purement sonore peut très bien faire preuve d'une remarquable expressivité. Ce qui nous autorise à penser que ces critères d'appréciation ne suffisent pas à caractériser la musicalité. Dans ces conditions, il reste à savoir pourquoi, reproduite par beaucoup d'appareils, sans déformation apparente, la musique perd tellement en intérêt?
  • La réponse se trouve du côté de la dynamique. Nous ne parlons pas de cette dynamique brutale, systématique d'un trop grand nombre de modèles mais de la dynamique fine, celle qui permet de différencier les plus infimes écarts de niveau, ceux qui s'exercent d'une manière extrêmement subtile sur une attaque, un vibrato, un accent, une note tenue. De la faculté d'un produit à restituer ce travail du musicien aux limites du perceptible dépend pour une large part son « expressivité ». La plus petite tendance à la simplification, le moindre désordre dans sa restitution se traduisent inévitablement par un manque d'émotion à l'écoute. Profitons-en pour souligner encore une fois l'absence de lien entre ces impressions et les mesures classiques...

et S. Bodin de conclure son éditorial par "Reste que la technologie ne doit pas être une fin en soi. Le juge suprême, c'est l'oreille. Espérons que les concepteurs de matériel hi-fi ne l'oublieront jamais."

Si l'émotion vous gagne

Si une chaine hi-fi vous fait irrésistiblement taper du pied, dodeliner de la tête en suivant le rythme d'un morceau de Jazz, si une chanteuse arrive à vous tirer des larmes, si un tutti orchestral d'un grand opéra vous provoque la chair de poule ou des frissons, si vous restez de longues secondes la bouche ouverte et le souffle coupé... si tout cela vous arrive régulièrement avec la même chaine Hi-Fi, alors vous avez une excellente chaine Hi-Fi. Ne cherchez pas ailleurs ni mieux, vous pourriez vite y perdre.

La musicalité tient souvent à peu de choses

Des enceintes acoustiques bien placées, un point d'écoute judicieux, quelques étagères avec des livres, un tapis, un tableau au mur... suffisent souvent à redonner de l'expressivité à une chaine Hi-Fi qui sonnait terne, morne, sans vie. Des choses à priori insignifiantes comme les cordons secteurs des appareils, souvent groupés ensemble n'importe comment, ou enroulés, ou branchés sur une voire deux triplites (!), font une sensible différence dès qu'on se met à prêter l'oreille à leur arrangement. Un peu d'écoute, d'attention et de jugeote permettent des gains de musicalité appréciables qui dispensent la plupart du temps de changer un élément qu'on jugeait à tort faiblard.

L'énigme de l'émotion

Pourquoi avec certains appareils l'émotion musicale passe-t -elle et avec d'autres pas? Pour un mélomane confronté à la hi-fi, un tel constat est à la fois évident et capital. Est-il possible d'en faire l'analyse? Certains paramètres sonores véhiculeraient-ils plus que d'autres de l'émotion? Si tel est le cas, quels sont-ils? Voici quelques-unes de nos réflexions sur ce sujet qui est au cœur de notre écoute. (Reprodution d'un ancien éditorial de Jean-Marie Piel paru dans la Revue Diapason n°431 Novembre 1996)

La musique est le langage de l'émotion », disait Goethe. Sans elle, la musique perd son âme ... Bien. D'abord faudrait-il s'entendre sur ce mot si galvaudé - un de ceux qui sont finalement plus chargés de valeur que de sens. Rien de plus subjectif, en effet, que l'émotion. La preuve: certaines interprétations touchent profondément les uns et laissent de marbre les autres. Même si elle semble jaillir du seul instant présent, l'émotion puise ses résonances dans notre mémoire, dans les résonateurs que notre civilisation, notre histoire personnelle et notre culture y ont creusé. Certes. Cependant l'expérience du critique hi-fi - qui devrait toujours être aussi un critique musical- apporte un éclairage intéressant sur ce sujet.
Avec certains appareils l'émotion est présente et nous atteint. Avec d'autres pas. Nous écoutons la musique sans la ressentir. Nous en avons fait l'expérience récemment avec un disque de Jacques Brel. Avec une voix aussi incandescente, l'émotion n'échappe à personne. il fournit de l'émotion à l'état brut pour ainsi dire. A ce titre, ce test est particulièrement révélateur. Nous nous en sommes beaucoup servi pour sélectionner nos Diapason d'or. Et une fois de plus nous avons dû constater que les différences les plus troublantes d'un appareil à l'autre - qu'il s'agisse d'un lecteur laser, d'un amplificateur ou même d'une paire d'enceintes - étaient moins des différences de son que des différences de présence émotionnelle.


Il y aurait donc une fidélité au son et une fidélité à l'émotion.
Il faut bien entendu se garder de prendre au pied de la lettre une distinction aussi schématique. Elle tient plus de la facilité de langage que d'une description rigoureuse de la réalité acoustique. Si l'émotion ne passe pas, c'est que le message sonore est altéré, même s'il ne semble pas l'être. Toute la question est précisément dans ce paradoxe: comment une reproduction sonore qui procure une excellente illusion de fidélité peut-elle à ce point gommer le contenu émotionnel d'une interprétation? C'est à ce stade qu'il faut pousser plus loin l'analyse, même s'il peut paraître bien ambitieux et naïf de vouloir comprendre sur quels paramètres sonores repose l'émotion.
A force de comparer les appareils, nous avons fini par nous forger une petite idée sur ce sujet qui - il faut bien le dire - intéresse plus les musiciens que les hifistes ... Prenons les différents paramètres qui constituent une image sonore: l'étendue de la bande passante, la définition, le timbre, la transparence, le relief. Même si chacun pris isolément ou leurs combinaisons peuvent jouer un rôle dans le rendu de l'émotion, nous pensons qu'il est minime. Pour s'en convaincre il suffit d'écouter des éléments hi-fi très performants sur l'ensemble de ces critères. Dans le très haut de gamme on trouve facilement de tels appareils. Or, curieusement, seul un petit nombre d'entre eux transmettent intensément l'émotion des interprètes. Et inversement, cette émotion si importante et justifiant qu'on investisse beaucoup d'argent dans le choix d'une chaîne haute-fidélité, il arrive qu'elle soit étonnamment bien restituée par des systèmes moyens, voire médiocres sur l'un ou l'autre de ces critères. Il faut donc chercher ailleurs. Quel paramètre sonore reste-t-il ? La dynamique, ou plus exactement les écarts de niveau entre les sons. Ce qu'on appelle les nuances dans la terminologie musicale. C'est à travers les nuances que l'émotion perle. Ce sont elles qui transmettent son énergie et font vivre les rythmes. Mais les nuances au sens le plus subtil du terme, les nuances instantanées, celles qui marquent un accent, celles qui se jouent sur l'attaque et à l'intérieur même d'une note, sur un vibrato d'amplitude, sur un son filé; celles qui parfois flirtent avec le silence ... Admettons.
Que dire alors des instruments à son fixe: l'orgue, le clavecin ... ? Ils n'ont pas de dynamique. Ils sont par nature inaptes aux nuances. Ils ne devraient donc pas permettre de transmettre cette émotion dont nous parlions. Pourtant, de grands artistes comme Helmut Walcha, Marcel Dupré, Gustav Leonhardt et quelques autres ont amplement prouvé le contraire. Sans doute. Toutefois, si on prend la peine d'analyser leur jeu, on s'aperçoit qu'ils transgressent les limites physiques de leur instrument et qu'ils créent une illusion de nuances par de savants procédés, d'infimes« dégoncements » rythmiques ou en jouant subtilement sur la durée des notes.
C'est en modulant le niveau des sons de façon réelle ou illusoire, sur des segments de temps courts ou longs (l'impact émotionnel du Boléro ne dépend-il pas largement de la lente et implacable progression dynamique sur laquelle il est construit?) que les interprètes produisent l'émotion la plus directe, celle que la plupart des auditeurs peuvent ressentir sans initiation particulière. Si un appareil hi-fi filtre cette émotion (cas, hélas, fréquent), c'est probablement du côté de sa dynamique subjective qu'il pèche. Il lui manque vraisemblablement non pas la dynamique fracassante d'une certaine hi-fi, mais cette dynamique fine qui différencie les écarts de niveau les plus ténus, qui crée des accents, fait vivre les rythmes, anime chaque note et il lui donne jusqu'à l'extrême pointe de son extinction ce profil exact, cette durée fragile à laquelle nous sommes suspendu. J-M Piel